— Paul Otchakovsky-Laurens

Titus n’aimait pas Bérénice

Prix Médicis 2015
Choix Goncourt de l’Orient 2015

Nathalie Azoulai

Quand on parle d’amour en France, Racine arrive toujours dans la conversation, à un moment ou à un autre, surtout quand il est question de chagrin, d’abandon. On ne cite pas Corneille, on cite Racine. Les gens déclament ses vers même sans les comprendre pour vous signifier une empathie, une émotion commune, une langue qui vous rapproche. Racine, c’est à la fois le patrimoine, mais quand on l’écoute bien, quand on s’y penche, c’est aussi du mystère, beaucoup de mystère. Autour de ce marbre classique et blanc, des ombres rôdent.
Alors Nathalie Azoulai a eu envie d’aller y voir de plus près. Elle a imaginé un chagrin d’amour contemporain, Titus et...

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La presse

Pour conjurer sa peine, une femme quittée plonge à coeur perdu dans l’oeuvre de Racine. Une transposition ardente de la tragédie de Bérénice.


Guérit-on jamais d’un chagrin d’amour ? Veut-on même jamais guérir d’un chagrin d’amour ? Mutilée par sa passion défaite, alors que l’amant infidèle est retourné au cocon familial, une jeune femme s’interroge, années, mois et semaines durant. Pour affronter sa souffrance, elle a choisi de la passer au scalpel des tragédies de Racine, celui qui, d’Andromaque (1667) à Phèdre (1677), sut traduire dans une langue pourtant minimaliste et pure comme l’acier les violences, outrances et tourments des mystiques de l’amour terrestre. Parce qu’il venait justement de l’impitoyable jansénisme ? Parce qu’il était un enfant orphelin, élevé aux Granges de l’abbaye de Port-Royal des Champs, foyer de cette radicale doctrine honnie par Louis XIV et les jésuites ? Il en connaissait du fond de l’âme toutes les sévérités et privations pour résister à un monde noir et glacé, où la grâce divine n’est réservée qu’à de rares élus. Racine savait le prix de la désobéissance humaine, de ses irresponsables et torrides abandons à la destruction amoureuse, à la perte de soi en l’autre et non en Dieu. Alors, pour exorciser l’absence, la narratrice se met non seulement à mêler le Titus racinien - cet empereur romain qui, par ambition politique, quitte cruellement la tendre Bérénice - avec l’amour perdu. Mais à fouiller aussi - pour en percer les contradictions et les secrets - l’existence du poète favori de Louis XIV, de son historiographe attitré même, dès qu’il renonce, après la cabale de Phèdre, au théâtre, en 1677, à 38 ans.


Et l’on redécouvre alors sous la plume de la maîtresse bafouée d’aujourd’hui - et de la brillante agrégée de lettres Nathalie Azoulai - la vie singulière d’un génie aux deux visages. Sensuel amant des meilleures actrices du temps, courtisan intriguant, épris d’un monarque dont il se croit le double, puis père de famille scrupuleux, chrétien torturé par son renoncement à l’austère foi d’antan. Et le roman au sobre mais délicat style Grand Siècle conjugue les points de vue, les fièvres du sentiment, passant de la narratrice de 2015 aux peines du rival triomphant de Corneille, hier. Avec Titus n’aimait pas Bérénice (peut-on vraiment l’affirmer ?), Nathalie Azoulai démontre avec une sensibilité écorchée la formidable modernité des anciens. Et comme il est enchanteur, excitant et rédempteur de se perdre et de se retrouver dans la ferveur de leur écriture...


Fabienne Pascaud, Télérama, septembre 2015


Bérénice, version 2015


Cela arrive parfois : un époux abandonne sa maîtresse pour retrouver sa femme. Chez la romancière Nathalie Azoulai, cela donne une phrase lapidaire pourtant emplie du mystère de l’amour : « Titus aime Bérénice et la quitte. » Nous sommes en 2015. La narratrice s’appelle Bérénice et son amant Titus la quitte pour ne pas quitter Roma, son épouse légitime, la mère de ses enfants, qu’il n’aime plus depuis longtemps. Pour se consoler de ce chagrin, le comprendre, l’expliquer, notre Bérénice 2015 va plonger dans Bérénice 1670. Sur cette simple idée, Nathalie Azoulai réussit un coup de maître. Les Anciens savent mieux que personne mettre les mots justes sur nos vagues à l’âme, autant puiser chez eux. Pour mieux peindre la douleur, plonger dans le sentiment amoureux, le chagrin, les souffrances, rien de tel que les tragédies du XVIIe siècle. Alors, la narratrice (ou Azoulai) va chercher la consolation, ou plutôt la vérité, chez Racine, dans sa vie, dans son oeuvre. Elle écrit, avec sérieux mais en souriant aussi : « Elle trouve toujours un vers qui épouse le contour de ses humeurs, la colère, la déréliction, la catatonie... Racine, c’est le supermarché du chagrin d’amour (...) » En s’appuyant sur l’auteur d’Andromaque, Azoulai scrute, détaille, décrit et, peut-être est-ce encore plus fort, souligne ce qui est impossible à écrire : le degré invisible des sentiments, l’intensité des choses, la profondeur de l’âme.


« Le lit du texte »


II y a deux grands pans qui se mêlent dans ce magnifique récit : le premier est cette quête au plus près du sentiment amoureux, pourquoi toujours ce trio infernal ? A aime B qui aime C..., et pourquoi (presque) jamais A qui aime B qui aime A ? Le second pan est cette biographie toute personnelle, mais magistrale de Jean (Racine). Elle en décrit la source. Même s’il était orphelin de père et de mère, il a été à bonne école. Ses maîtres sont Claude Lancelot, Pierre Nicole, Jean Hamon, Antoine Le Maistre... Mais elle n’en cache rien, surtout pas sa vanité, l’orgueil bouffi, les relations courtisanes avec le roi, la concurrence exacerbée avec les autres grands dramaturges, la jalousie envers Corneille et Molière (un petit exemple : « Mais un mois plus tard, Molière meurt enfin » ! ) Avec ces trois-là, plus La Fontaine et Furetière, l’époque était incroyablement riche. L’entrée de Racine à l’Académie française telle que le raconte Azoulai est une scène d’anthologie. Dans toutes les pages, les phrases sont faites de grâce, elles dansent, se chuchotent, se relisent, se soulignent tels des aphorismes. La romancière dit beaucoup du travail du tragédien (ses traductions, sa façon de « ne pas perdre une miette » des confessions), de son approche pour atteindre « le lit du texte ». Une superbe master class ! L’oeuvre de Racine est inépuisable.


Mohammed Aïssaoui, Le Figaro Littéraire, 15 octobre 2015


Prendre Racine


Titus et Bérénice sont deux amants actuels. Titus est marié et ne veut pas divorcer pour Bérénice. Alors ils se quittent. Un jour, au plus fort de son chagrin, l’amoureuse abandonnée entend un vers de Bérénice (la pièce) : « Dans l’Orient désert quel devint mon ennui ! » Ah, Racine et ses diérèses ("O-ri-ent"), où toute la souffrance du monde s’exprime en un simple chuintement mouillé... Rien de tel pour apaiser la douleur. Alors, Bérénice s’empare du tragédien et se livre à une étonnante reconstitution. Un récit dans le récit, système a priori pensant, mais qui permet à Nathalie Azoulai de se libérer de la contrainte historiographique, même si elle a nourri son roman des données disponibles. Sous sa plume, Racine passe un temps fou à polir son phrasé, recueille des confessions féminines pour écrire Phèdre, aime les comédiennes et surtout adule Louis XIV. Les échanges de regards enamourés avec le roi sont particulièrement réussis. Le tout est servi par une langue intense, où la politique, souvent courtisane, est pourtant toujours tragique, un peu comme chez Racine. C’est épatant et consolant.


Eric Aeschimann, Le Nouvel Observateur, Août 2015


Racine, si loin, si proche


Dans le sixième livre de Nathalie Azoulai, une jeune femme d’aujourd’hui trouve une voix du XVIIe siècle pour exprimer sa souffrance amoureuse.


De l’esthétique minimaliste, à la mode il y a quelques années, ce que les Italiens ont appelé « l’art pauvre », Nathalie Azoulai se sert avec brio aux premières pages de ce roman et en reprend les constantes : immédiateté des choses, proximité dans un présent continu, refus de la profondeur et de la mémoire.

En ce début du siècle, Bérénice est quittée brusquement, et sans explication, dans un café, par son amant Titus. Il l’aime, mais ne peut laisser, même s’il ne l’aime plus, Roma son épouse, la mère de ses enfants. Ce que ressent Bérénice ne peut passer par le langage, ou se satisfaire des clichés, des dictons qui traînent à propos des chagrins d’amour.

Incapable de conceptualiser sa souffrance, elle s’accroche à son seul repère, son prénom, attaché à une pièce de théâtre dont elle ignore tout, à ce Racine qu’elle connaît mal, et qui, pour le grand public, ne représente plus grand-chose, si ce n’est, lui disent ses amis, une langue devenue peu accessible et des personnages désuets.

Puisque les textes contemporains, comme ceux de Duras qu’elle aime beaucoup pourtant, ne lui permettent pas de transformer sa souffrance en récit, elle veut se rapprocher de l’écrivain classique pour trouver dans ses oeuvres ou sa vie une explication à sa douleur.

La narration qui glissait sur une femme anodine, à la surface d’un quotidien banal, se déplace alors vers un autre présent, riche, coloré celui-là, le XVIIe siècle, que Bérénice investit peu à peu. Elle va plonger dans les textes du dramaturge, les témoignages, les documents, inspecter les lieux qui l’ont vu grandir, écrire, souffrir, scruter les figures qui l’ont accompagné - la Mère Agnès sa tante plutôt psychorigide, ses maîtres jansénistes (M. Hamon, Nicole, Lancelot), Nicolas (Boileau), un autre Jean (La Fontaine), ses maîtresses (la Duparc, la Champ-meslé), Louis XIV, et le roman se mue en biographie intérieure, celle d’un Racine revisité.

Bérénice, qui connaît la célèbre phrase de Suétone, plus concise, plus frappante en latin Titus renvoya Bérénice malgré lui, malgré elle, voudrait bien comprendre comment on peut à la fois aimer une personne et s’en séparer volontairement.

Sa recherche de Racine est d’abord une tentative pour répondre à cette question, qui en suscite une autre : dans quel vécu, dans quelle tradition littéraire l’écrivain avait-il puisé cette connaissance de l’amour ? Et puis le regard, les interrogations de Bérénice s’effacent, la romancière prend le relais, de l’enfance orpheline de Jean à Port-Royal-des-Champs, aux années de passion, de lutte, de violence, jusqu’à son retour dans la même abbaye.

Elle retrace ses aventures à travers la langue de son temps, sa recherche d’une forme théâtrale qui exprimerait la « tristesse majestueuse », noeud de l’action dans ses pièces, sa volonté de transgresser des codes littéraires à la mode.


Elle se tient au plus près de son combat entre l’appel, l’attrait du monde, et la rigueur du jansénisme. La narration se termine avec une date qui marque la fin de l’histoire de Racine : en 1713, dix ans après sa mort, Louis XIV fait raser l’abbaye, exhumer les corps du cimetière, disperser les religieuses, qui méritaient un autre traitement...

Quant à Bérénice notre contemporaine, elle rassemble les livres, qui formeront «son rectangle de tragédie, le pré carré de son amour». Et puis elle va oublier.


Francine de Martinoir, La Croix, septembre 2015


Racine au secours du deuil amoureux


Nathalie Azoulai s’empare des tragédies et de la langue de l’auteur de « Titus et Bérénice ». Elle y puise une force contemporaine, troublante, romanesque. Entretien


Une femme aime un homme. Il est marié. Il la quitte pour rejoindre son épouse. Celle qui l’aime et qu’il abandonne est dévastée, éplorée. Elle cherche à comprendre ce qui lui arrive. Elle a un nom, Bérénice. Lui se nomme Titus. Et voici Roma, mère et empire, devoir et refuge, dirait-on.
Pourtant, pas de costumes, pas de décors. C’est bien d’un roman contemporain qu’il s’agit; d’un roman où celle qui raconte sa douleur plonge dans les tragédies de Racine pour y chercher des mots, des vers, quelque chose de sec, de froid, de beau, une langue qui l’aide à traverser ce chagrin.


Confident


L’héroïne s’empare de Racine : « Grâce à Racine, elle en arrive à se passer de confident. De toute façon, y a-t-il vraiment quelqu’un pour recueillir ce filet d’eau tiède qu’est le chagrin quotidien ? Ses proches se sont usés. [...] Le récit du chagrin est aussi ennuyeux que le récit de rêve. » De plus en plus, elle se tourne vers l’auteur d’Andromaque, de Phèdre, jusqu’à vouloir se couler en lui, jusqu’à vouloir comprendre de l’intérieur pourquoi il lui est si important, pourquoi sa langue compte tant pour elle. Elle s’en empare, se l’accapare, s’en fait tout un roman et voici Racine, lui-même, devenu personnage, qui rejoue sa vie, de Port-Royal à Versailles, de théâtre en vie de famille, d’amitiés en disgrâces, sous l’oeil de Bérénice.


Suspense


Nathalie Azoulai est l’auteure de six romans, de Mère agitée (2002) à ce Titus n’aimait pas Bérénice, paru chez P.O.L, et qui figure sur plusieurs listes de prix littéraire. Au Goncourt, Nathalie Azoulai est la seule rescapée féminine de la seconde sélection. Suspense pour la troisième sélection prévue le 27 octobre. Titus n’aimait pas Bérénice est un roman qui célèbre la langue française, qui plonge dans ses racines latines, qui tente de saisir comment l’amour d’une langue et l’amour tout court se mêlent. Racine, en personnage, est saisi à Port-Royal, cette abbaye honnie par Louis XIV, bastion du jansénisme et d’une certaine excellence. Pourtant, l’homme s’en ira dans le monde, armé de sa plume et de son latin. Avant de se mettre au service du roi et de chanter ses batailles, il vivra de fiévreuses années de théâtre, où il tente de détrôner Corneille, son rival, s’affronte à Molière, maître en comédies, « Je l’aime, je le fuis ; Titus m’aime, il me quitte ! On dirait bien que vous avez réussi là quelque chose [...] Que les femmes de France qui emplissent désormais les théâtres aient besoin de mes vers pour parler de leur amour [...] Pour elles-mêmes, devant les autres. Je suis un recours national », se réjouit Racine.


Puissance


Marbre, beau parler, versification, allitérations, hypotypose, oxymores ! Drôles de noms ! Si Titus n’aimait pas Bérénice réveille quelques souvenirs d’école, c’est pour mieux les dépasser et montrer ce que la figure de Racine, ses héroïnes, ses pièces ont aujourd’hui encore à dire et à montrer. Loin de la psychologie à bon marché, loin des vendeurs de deuil formaté qui voudraient programmer les douleurs contemporaines, la langue épurée, elliptique et dure de Racine, en exprimant ce qu’on ressent, en le transfigurant, conserve, intacte, sa puissance.


Eléonore Sulser, Le Temps des Livres, 24 octobre 2015


Nathalie Azoulai évoque la rupture, Racine, le théâtre et l’art du mentir-vrai


Un seul être vous quitte et tout est dépeuplé... Voilà qui pourrait servir de maxime de vie à Bérénice, femme moderne et brisée par l’abandon de Titus, son amant, qui, retournant chez son épouse, la laisse meurtrie, désemparée avec un certain dégoût de soi. Personnage servant d’héroïne au roman de Nathalie Azoulai, Titus n’aimait pas Bérénice, cette grande romantique ne s’en laisse pourtant pas compter. Et comme pour comprendre, pour essayer de se reconstruire, elle décide de se mettre à relire l’oeuvre de Racine qui fourmille de femmes déçues par les hommes et qui savent combien "il n’y a pas d’amour heureux" et combien les passions absolues sont parfois impossibles à partager.
Roman à tiroirs, texte gigogne qui ouvre non seulement des récits multiples, mais qui propose une réflexion sur l’art d’écrire et la puissance du mentir-vrai fictionnel, voilà aussi l’éloge de la lecture et de la poésie. Bérénice lisant des vers de Racine, tandis que Nathalie Azoulai se glisse dans la peau d’une biographe de Titus (le Roi de Rome) et de Jean Racine lui-même. D’évoquer Port-Royal et l’enfance dramatique du dramaturge, marqué par son époque et la dureté des temps politiques traversés. Avec intelligence et un point de vue féministe qui prend en compte la douleur de toutes les Bérénice du monde, la romancière montre que la défaite des vaincues brise l’équilibre des rapports entre les êtres. Brillant, érudit (les pages sur l’époque de Racine par leur justesse et leur brillant poétique rappelle le style de Yourcenar), d’une narration éclatée qui en renforce la virtuosité, Titus n’aimait pas Bérénice se fait réquisitoire contre l’égoïsme des hommes et leur avidité au pouvoir. Ce cri de douleur se transforme au fil des chapitres en un hymne à la tolérance, à la paix et à la concorde. En un presque psaume qui s’apparente à ce que Chateaubriand appelait "un Hosannah sans fin", ce roman offre un émouvant portrait de femme d’aujourd’hui qui semble nous indiquer que l’on peut être aussi sauvé par les livres.


Jean-Rémi Barland, La Provence, 8 mars 2016

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Nathalie Azoulai, Titus n’aimait pas Bérénice, Titus n'aimait pas Bérénice - Nathalie Azoulai - juillet 2015

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Son

Nathalie Azoulai, Titus n’aimait pas Bérénice , Sur Racine Répliques Alain Finkielkraut Répliques France Culture avec Jean-Michel Delacomptée 5/08/2015

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